Elle revient sous les feux de l’actualité avec la loi votée au Sénat, enflamme les débats, polarise les opinions : c’est l’écriture inclusive. Mais de quoi parle-t-on au juste ? Car l’écriture inclusive, c’est bien plus qu’un simple point médian. D’ailleurs, ne devrait-on pas plutôt parler de langage inclusif ? Décryptage…
Le langage inclusif, c’est quoi ?
C’est tout simplement un outil pour rétablir les équilibres langagiers et rendre visibles les genres non masculins, lutter contre les stéréotypes sexistes et favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes. Car dans notre belle langue française, le masculin vaut pour les genres mixte et neutre (et on pourrait ajouter agenre). C’est ce que nous avons d’ailleurs appris à l’école : le masculin l’emporte sur le féminin. À l’origine de cette règle grammaticale ? Nos grammairiens du 17e siècle, confortés par l’Académie française naissante.
Ainsi, « Parce que le genre masculin est plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins », écrivait Scipion Dupleix en 1651 dans son ouvrage Liberté de la Langue Françoise dans sa Pureté. Ou encore : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle », complétait Nicolas Beauzée en 1767. Charmant. Quant à l’Académie française, elle a tranché : « Le neutre, en français, prend les formes du genre non marqué, c’est-à-dire du masculin ».
Voilà pour le cadre historique. Dans ce contexte, comment des personnes d’un genre autre que masculin peuvent-ils ou elles se projeter socialement et professionnellement ? Le langage influe sur notre pensée et notre cognition et plusieurs décennies de recherches en psycholinguistique ont permis de démontrer qu’un langage non inclusif était la porte ouverte à des représentations mentales biaisées en faveur du masculin et au détriment des autres genres.
C’est là que le langage inclusif entre en jeu, en nous offrant plusieurs outils – féminisation des fonctions, accords de proximité, mots épicènes, doubles flexions, points médians – pour plus d’inclusion dans notre verbalisation du réel… et dans nos représentations mentales. Car les stéréotypes sexistes ont la dent dure, surgissant parfois malgré nous…
Un neutre pas si neutre…
« Selon les conclusions des médecins urgentistes, l’individu est mort des suites d’une maladie. Elle souffrait en effet d’une malformation cardiaque. » Vous butez ? C’est normal, votre cerveau a besoin d’un temps plus long pour analyser le sens de la phrase, car il attendait un sujet masculin alors que l’individu en question est une femme. Même si « individu » est un épicène censé englober tous les genres.
C’est ce que révèle une étude scientifique, parue en septembre dernier dans la revue Frontiers in Psychology, qui a exploré la problématique des représentations mentales induites par l’utilisation de mots épicènes. Pour mémoire, les mots épicènes sont des mots neutres (ex. : enfant, individu, personne, architecte, etc.), les doubles flexions sont l’emploi des deux alternatives masculin/féminin (ex. : les étudiants et étudiantes) et les doubles flexions avec contraction sont les mots masculin/féminin contractés avec un point médian (ça, tout le monde connaît).
Dans cette expérience, deux phrases consécutives étaient présentées aux participant·e·s qui devaient déterminer si la deuxième, qui commençait par « il » ou « elle », était la suite logique de la première. Dans le volet n°1, la première phrase contenait un mot épicène qui était repris dans la deuxième comme sujet (« il » ou « elle »). Dans le volet n°2, la première phrase comportait une double flexion, avec ou sans contraction. Le résultat ? En présence d’un mot épicène, les participant·e·s ont mis plus de temps à déterminer si la seconde phrase était la suite logique de la première.
Les conclusions de cette expérience sont sans appel : les formes épicènes ne permettent pas de déjouer les biais en faveur du masculin alors que les formes à double flexion – contractée ou non – sont plus efficaces pour rectifier les biais de genre. La raison ? Notre système cognitif met plus de temps à traiter l’information, car il perçoit une ambiguïté dans la phrase, démontrant par la même que le masculin neutre… n’est pas si neutre que ça puisqu’il engendre des représentations mentales biaisées en faveur du masculin. Notre cerveau est en revanche plus rapide à décoder l’information lorsque les deux genres sont clairement marqués.
Mixer les plaisirs
Féminisation des fonctions, épicènes (en contexte, pour éviter les biais en faveur du masculin), doubles flexions, accords de proximité, points médians : nous disposons d’un véritable arsenal pour rendre le langage plus inclusif. Il est tout à fait possible de mixer toutes ces possibilités. Cela demande juste une petite gymnastique intellectuelle.
Quant au point médian, il cristallise à lui seul toutes les crispations (euphémisme) de celles et ceux qui bataillent contre l’écriture inclusive en la réduisant à ce petit point pour la rejeter en bloc. Il ne s’oralise pas, il est simplement utilisé à l’écrit pour gagner de l’espace en contractant deux mots, comme nous le faisons naturellement avec « Mme », « etc. ». Son usage raisonné perturbe finalement peu la lecture (comptez les dans ce texte, il y en assez peu). Il ne s’agit pas de re-genrer toute la langue française, seulement les noms animés (en gros tout ce qui n’est pas objet) et leurs qualificateurs. De plus, les études scientifiques manquent pour comprendre son réel impact sur la dyslexie, qui revêt différentes formes. Il est d’ailleurs tout à fait possible d’écrire de manière inclusive sans l’utiliser, grâce à la double flexion non contractée (étudiants et étudiantes). L’usage crée la langue. Seul le temps dira l’avenir du point médian.
Le neutre « iel » est une autre possibilité pour rendre le langage plus inclusif. D’ailleurs, en Suède, le pronom neutre « hen », dérivé de han/il et hon/elle a mis plus de 10 ans à s’installer dans la langue. Aujourd’hui, il est largement adopté et la langue suédoise n’en est pas morte pour autant. Autre exemple : l’Espagne, qui a détourné l’arobase pour en faire une flexion plus inclusive (tod@s pour todos et todas).
Si le cerveau et la langue ont un point commun, c’est leur plasticité. Une langue est vivante, c’est notre outil pour exprimer et qualifier le réel, pour en partager notre perception. Une langue restée bloquée à une époque surannée où les femmes n’avaient pas le droit de disposer d’un compte bancaire ni de voter, où les couples de même sexe devaient se cacher et où changer de genre était tout bonnement inimaginable est une langue morte qui n’épouse pas les mutations sociétales. Tout n’est pas parfait, alors réfléchissons à améliorer le langage inclusif plutôt que de lui opposer une fin de non-recevoir. Il s’agit d’évoluer, de s’habituer, d’apprendre et de transmettre.